Octobre…

En ce mois d’octobre, une pensée pour toutes les personnes qui ont souffert ou qui souffrent d’un cancer…

 

Tout au long de l’année, je reçois en soin des personnes malades du cancer.

Je suis triste d’entendre aussi régulièrement des personnes qui, accablées par l’annonce de la maladie, entrent alors dans un vrai parcours du combattant où elles peinent à être actrices de leurs soins. Combien de fois me disent-elles ne pas avoir eu la possibilité de discuter, de poser leurs questions, de prendre des décisions pour elles-mêmes, d’être respectées dans leur intégrité… Le choix n’est plus.

Bien sûr, ces personnes comprennent vite qu’elles ne sont qu’un cas parmi tellement d’autres et qu’elles n’ont qu’à se faire toutes petites car après tout, pour les autres, la situation est sûrement bien pire ! 

A la souffrance provoquée par la maladie elle-même, par l’angoisse d’avoir une épée de Damoclès, par les traitements qui génèrent une multitude d’effets secondaires, viennent s’ajouter parfois des réflexions mal placées, culpabilisantes et expéditives (« c’est le prix à payer, Madame »); si elles ne sont pas vouées à être malveillantes, elles le deviennent de par leur maladresse voire leur manque d’empathie.

Puis commence cette course contre la montre : on gratte, on enlève, on traite, on brûle, on enlève, on traite, on remet ou pas. Parallèlement, on cherche l’artère, on pose un PAC, on cherche les veines, fait une prise de sang, on fait un PET scan, on passe un IRM… On passe d’un service à l’autre, d’un discours à un autre quelques fois… On s’y perd. La temporalité de l’urgence vitale n’est plus en adéquation avec celle de l’assimilation du changement. 

Mais la personne se sent dépossédée … Quand le corps subit, on finit par ne plus en vouloir, par ne plus pouvoir le regarder, par ne pas supporter l’idée de ce qu’il ne sera plus… 

Je garderai en tête les paroles de cette femme, que je voyais pour la troisième fois, et qui contrairement à d’autres, semblait plutôt bien vivre sa maladie, ou disons, qui semblait plutôt sereine car elle avait été convenablement accompagnée jusque-là par les soignants du service oncologie. Le jour où elle a commencé ses séances de radiothérapie (une nouvelle étape dont on ne peut pas dire que ce soit la plus rassurante), elle a vu les professionnels se concerter longuement autour de sa situation dans la petite salle attenante, sans que personne ne s’adresse une seule fois à elle. L’inquiétude est alors montée à son maximum, on l’imagine, jusqu’à ce que, à l’issue de la concertation, un membre de l’équipe vienne la voir en lui touchant la cheville. Ce simple geste a été un soulagement ; il disait ‘’Je vous ai vue, je ressens votre angoisse. N’ayez crainte, on est là ; sentez ma main apaisante sur votre cheville, sur cette partie de votre corps en bonne santé, qui vous porte’’. Ce contact bienveillant lui rappelait aussi qu’il y avait bel et bien de la vie à l’intérieur de ce corps. Je salue ce soignant, qui a mis de côté un instant ses observations et ses connaissances purement techniques pour percevoir enfin le besoin de cette patiente d’être rassurée. Toutefois, tout ce temps d’attente fut trop long pour cette femme qui, lorsque je l’ai vue la semaine suivante, était encore toute secouée, et éprouvait encore cette nécessité de réconfort psychique et corporel.

La semaine dernière, un monsieur me racontait que le médecin était venu lui annoncer son cancer lorsque son téléphone a sonné ; ce dernier a répondu à l’appel, puis a quitté la chambre sans jamais revenir… On est ici bien au-delà d’une maladresse. J’en ai encore les poils qui se hérissent ; qu’est-ce qui peut amener ce docteur à annoncer un tel diagnostic sans même s’assurer que le cadre sera suffisamment rassurant pour cette personne en détresse ? …

Il se peut que je fasse erreur mais j’ai l’impression que dans le domaine de l’oncologie, on est assez bien équipés en France (en comparaison, j’ai constaté les dégâts d’une radiothérapie mal ciblée effectuée dans un pays d’Afrique ; je souffre encore pour cette femme tellement elle avait été irradiée largement au-delà de ce qu’elle aurait dû être…) : des moyens sont donnés pour la recherche, des moyens sont donnés pour la technologie, des moyens humains pour constituer des équipes solides et compétentes, et chaque professionnel maîtrise sa technique à n’en point douter, mais pourquoi oublie-t-on parfois que l’on travaille au chevet d’autres humains dotés de sentiments, tout comme soi-même ?… 

Pourtant, ça se sait, non ? Un patient qui est pris en compte dans sa globalité, qui est considéré, qui bénéficie d’une écoute empathique a davantage de chances de mieux vivre sa maladie. 

L’oncologie est également un domaine où les moyens sont donnés pour la mise en place de soins de supports tels que la socio-esthétique… Et bien j’ai le sentiment qu’au-delà d’évoquer le retour à une image positive de soi avec la personne malade, il faut avant tout commencer par proposer cet instant d’écoute et de toucher apaisant, tellement nécessaires.

Petit clin d’œil pour finir à Baptiste Beaulieu, ce génialissime médecin que tout le monde rêverait d’avoir !

« Les patients ont le droit d’espérer des soignants attentifs. Et le système de santé, système « du toujours plus », plus de rendement, plus de places, plus d’économies, et la demande de soin toujours plus importante, tout cela ne va-t-il pas en tout premier lieu sacrifier l’attention ?

Les patients et patientes ont le droit d’espérer en des soignants attentifs. Malheureusement, l’état actuel de saturation de notre système de santé ne pousse pas à l’optimisme : tout est prêt à craquer » (Baptiste Beaulieu, in Alors Voilà, archive mensuelle, janvier 2020, « Est-on jamais assez attentif dans la vie ? »)

 

 

Qu’est-ce qu’un bon médecin ? La chronique de Baptiste Beaulieu – YouTube

 

Vous serez peut-être aussi interessé.e par…

Marcher sans relâche…

Marcher sans relâche…

A longueur d’années, à longueur de saison, le ‘sans-logis’ marche, sans relâche, il marche…Aller et venir d’un bout à l’autre de la ville,S’installer à l’endroit ‘idéal’ pour...

Dédicace à ces femmes

Dédicace à ces femmes

   Dédicace à cette femme que j'ai rencontrée lundi. Après des mois de manque d'envie, où le seul objectif était de supporter la chimio, et de lutter coûte que coûte, elle ne se...

Merci la vie !

Merci la vie !

Merci VOUS tous les gens que je rencontre. VOUS qui vous battez contre l’insupportable au quotidien : la douleur, la maladie, la détresse psychique, l’alcoolisme, les drogues, la...

0 commentaires

Soumettre un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *